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DÉCORS CONTEMPORAINS DU MUSÉE RODIN

Le salon de la Danaïde au musée Rodin

Henry-Claude Cousseau

C’est le salon sud, au rez-de-chaussée de l’hôtel Biron, qui a été judicieusement attribué à Li Xin, «peintre de l’eau». Ce salon ovale tire son nom de la présence d’une œuvre d’Auguste Rodin, la Danaïde (1885), dite
aussi La Source. Célèbre figure mythologique condamnée à puiser éternellement de l’eau dans un tonneau sans fond, la danaïde apparaît ici sous les apparences d’une femme nue, le corps prostré, dont la chevelure se répand sur le sol. La présence de la cruche auprès d’elle indique d’emblée une double
métamorphose: elle est à la fois source et fontaine, métaphore de l’incessant et désespérant effort qui s’attache à la condition humaine. L’artiste est intervenu sur les médaillons légèrement ovés, encastrés
dans les boiseries anciennes sous la corniche du plafond, au niveau des écoinçons formés par l’alternance des fenêtres et des glaces. Il s’agit d’une suite de huit peintures qu’on pourrait dire «en grisaille», qui présentent l’apparence de paysages, entre crêtes et nuages. Leurs horizons mouvants, incertains, oniriques, mais transparents et lisses, sont marqués de légers accidents, comme de minuscules cratères: ceux laissés par l’impact des gouttes de peinture au moment où le peintre va entamer son geste. Le principe de la confrontation entre peinture et sculpture, souvent poursuivi, fait toujours montre de la fascination que ces deux pratiques opposées exercent sur elles-mêmes, dans une recherche mimétique
sans fin. Mais, celle-ci, par l’écart culturel et esthétique qu’elle expose, lui donne un regain de sens. L’une des voies du sculpteur, c’est d’ignorer superbement les lois naturelles de la matière qu’il travaille. C’est par antithèse que Rodin s’attache à suggérer ici, dans le marbre, la liquidité, transformant la pierre
en eau, la faisant sourdre de la terre, préfigurant sa fluidité dans la chevelure de la danaïde, son écoulement dans la position de son corps mêlé à la terre. Le «peintre de l’eau», pour sa part, s’engage dans un défi apparemment moins flagrant mais tout aussi décisif. Il se livre en effet à une métamorphose qui fait retour sur celle du sculpteur, lui donnant en quelque sorte la réplique, dans un séduisant effet
de symétrie. On sait que, dans la tradition chinoise, l’eau, élément premier de la peinture, constitue
aussi l’un des thèmes par excellence de cet art, qui en célèbre dans ses paysages les principaux avatars : mers, fleuves, cascades, brumes et brouillards… jusqu’aux nuages qui partagent leur destin avec les crêtes et les montagnes, d’où ils proviennent, là où l’eau trouve justement son origine. En recourant délibérément à une technique antinomique à celle de l’eau, celle de la peinture à l’huile, pour en obtenir des effets similaires, Li Xin se voit contraint de traduire son langage, de transposer les images qui lui sont propres, en quelque sorte de les représenter, de mettre en œuvre une variante de l’illusionnisme, au travers de ce qu’on pourrait appeler: une peinture de la peinture. Stratagème savant qui n’est possible que
par la parfaite connaissance qu’il a de leurs propriétés théoriques et visuelles, et qui permet à Li Xin de proposer un dialogue inédit entre deux traditions picturales parfaitement opposées. Mais l’autre difficulté que doit affronter ici le peintre, c’est de parvenir à produire une homogénéité parfaite entre les tableaux
d’une même suite dont l’argument pictural est contradictoire, qui confronte stabilité et mouvement, fixité et progression, la permanence d’un motif, celui du paysage, et la dynamique du geste qui le crée. Il y parvient à l’aide d’un procédé aussi simple que subtil, qui consiste, à l’aide d’une large brosse souple et du médium suffisamment liquide, à recouvrir la toile de bandes horizontales. En se superposant, celles-ci provoquent des modulations et des accidents qui font surgir un espace ouvert, animé par les taches,
les coulures, les gouttes et les ondulations du pinceau. Il ne reste qu’à la légèreté des glacis d’apporter ensuite la transparence lumineuse qui les fait vibrer, dans une texture de jade gris vert, qui répond aussi bien au velouté cireux des marbres qu’à celui du bronze. Paraphrasant un célèbre poème qu’il a fait sien, Li Xin aime à dire que d’un vol d’oiseaux dans le ciel, le peintre veut capturer non la forme des ailes mais la fugitivité du passage.

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