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Entretien avec Philippe Piguet

Philippe Piguet et Li Xin, 2022

Philippe: En 2002, apres avoir suivi I’enseignement de llnstitut central des beaux-arts et decoratifs de la Chine, vous avez choisi de sejoumer en France. Qutest-ce ce qui justifiait alors votre choix ?
Li Xin: Quandj’avais 14-15 ans, j’ai lu differents ouvrages sur I’impressionnisme. Cela m,a donne tres envie de decouvrir ce monde de la couleur et de la lumiere. Je me suis dit qu’unjouc il faudrait absolument queje vienne en France pour voir tous ces tableaux si originaux. Aujourd’hui, non seulement je suis ravi d’avoir realise ce prqjet maisjtentretiens avec la France des relations privilegiees et sitot queje peux le faire,je vais y sejourner
Philippe: Qutest-ce que cela vous a-tril apporte ?
Li Xin: Paradoxalement, la necessite du vide. Je suis venu en France attire par la puissante palette coloree des impressionnistes mais quelques annees apres, j’ai ete litteralement obsede par la question du vide et je suis devenu quasiment anti-couleur Mon travail presente une sorte de nuance grise, entre la couleur et I’incolore, qui vibre tres fortement sur le papier Xuan.
Philippe: Qu ten reste-t-il aujourd’hui dans votre pratique ?
Li Xin: Aqjourd’hui, subjectivement, je laisse se manifester dans mon travail ce qui determine la frontiers entre la couleur et Uncolore, le vide et le plein, (‘Occident et rOrient. Ce travail a ete bien accueilli en France etj’ai ete amene a le presenter a plusieurs reprises dans certains musees. J’y ai aussi realise quelques prqjets artistiques perennes, comme a Paris, au mu see Rodin.
Philippe: En quoi consistait ce projet ?
Li Xin: II entrait en compte dun programme de decors contemporains du Musee Rodin. J’ai ete choisi pour creer un ensemble d’ceuvres destinees a I’une des salles du rez-de-chaussee. Quandj’ai decouvert Itespace qui metait devolu,j’ai eu etrangement I’impression dtentrer a I’interieur d’un vaisseau spatial. Si tous les murs y sont recouverts de boiseries depoque Rococo, ils sont ponctues sous le plafond par huit medaillons ovales aux allures de hublots. J’ai immediatement eprouve le sentiment que I’esprit de cet espace etait propice a laisser s’echapper la pensee et j’ai tres vite imagine utiliser cette situation en apprehendant ces medaillons comme de possibles ouvertures vers rexterieur
Philippe: Qu’est-ce qui vous a conduit a vouloir les emplir par ce flux de peinture qui est la marque de votre style ?
Li Xin: II y a dans cette salle une ceuvre de Rodin qui m’a particulierement emu : une DanaTde qui remplit unejarre trouee. Cfest un mouvement sans debut, ni fin, sans but ni resultat, symbole ideal d’un flux permanent qui m’a rappele certaines pensees orientales. Tout est vide de sens dans notre vie ici-bas et nous sommes tous des passants qui nous agitons en vain. A I’echo du celebre poeme Fireflies de Rabindranath Tagore: «I leave no trace of wings in the air; but i am glad i have had my flight. » Par ailleurs, je souhaitais inscrire mon travail en contrepoint de Extravagance decorative de I’art rococo pour qu’il ne soit pas pris en otage par le contexte. Aussi, a propos de cette intervention, j’ai deliberement parle de « de-decoration ». Enfin, j’ai mise sur une forme de flux pictural tres discrete de sorte que mon travail ne saute pas immediatement aux yeux des visiteurs mais qu’ils le decouvrent peu a peu.
Philippe: II y a quelques annees, vous avez eu Ibccasion de montrer votre travail en France, plus precisement a Lyon, simultanement au Musee des Beaux-arts et a llnstitut franco-chinois. Comment aviez-vous conqu cette double exposition et quel aspect de votre travail aviez-vous souhaiter mettre en valeur ?
Li Xin: Mon exposition au Musee des Beaux-arts de Lyon a eu lieu en 2017, exactement quinze ans apres mon arrivee en France. C,etait la premiere fois pour moi que je faisais une exposition dans un tel musee. Je I’avais intitulee « Lagunes » et conque comme une promenade dans un jardin afin que les visiteurs aient envie d,y flaner en toute serenite. Le theme common a toutes les ceuvres exposees 一 peintures a I’huile, encres sur papier et ceramiques de Sevres – etait celui de Ifeau. lout y etait d,une fluidite simple et naturelle qui ne pouvait que les y encourager Certaines ceuvres se presentaient sous la forme de triptyques et il y avait une peinture, appartenant aux collections du Musee Guimet, qui mesurait 13 metres de long. Le Musee des Beaux-Arts de Lyon possede une importante collection de peintures classiques et impressionnistes, aussi on peut le considerer comme une sorte de palais de la lumiere et de la couleur Quand on penetrait dans la salle de mon exposition, du fait de la particularite de ma palette, on avait I’impression de se retrouver dans un jardin a dominante grise, isole du monde. Cela ne manquait pas de creer un contraste saisissant.
Philippe: De fait, le gris est chez vous une couleur de predilection et vousjouez de toutes les nuances possibles. D’ou provient-il done ?
Li Xin: Lfencre quej’utilise est fabriquee a partir de la cendre de vegetaux brules. Ce sont les depots de fumee qui me permettent dbbtenir toutes ces nuances et de creer toutes sortes de paysages en la reversant tant sur le papier que sur la plaque de ceramique. Dans le premier cas, Itencre fait trace et suggere tout un monde originel; dans le second, je fais reapparaitre en quelque sorte les traces de fumee par une autre combustion. Cest – il me semble – une faqon pertinente et efficace de representer certains etats de matieres avec les materiaux memes dont elles proviennent. Cest aussi ma quete d’un etat naturel sans artifice.
Philippe: Peintre, vous marquez un interet appuye pour les arts du feu et vous leur appliquez la meme couleur grise. Cfest pour le moins etonnant, non ?
Li Xin: Je suis originaire d’un pays riche d’une histoire millenaire dans les arts de la porcelaine et de la ceramique et qui possede d,innombrables tresors en cette matiere. Si la ceramique grise est peu connue, cfest que le gout de la cour sfest toujours porte vers la couleur; mais le gris est une couleur tres appreciee des lettres et il a toujours ete privilegie dans la peinture traditionnelle de paysage. C’est un ton qui a I’avantage de vibrer fortement au sein meme de la couleur ou de I’incolore et qui contribue a ouvrir I’imagination. II est volontiers apaisant et facilite lentree dans un etat meditatif De plus, le gris condense, en un seul et meme tout, les mouvements du Yin et du 洛ng.
Philippe: Quel que soit le mode dfexpression que vous employe乙 la notion de flux, le theme de Ifeau sont constitutifs de votre esthetique. Dbu vous vient cette fascination pour I,element liquide ?
Li Xin: Je suis ne dans un village au bord du fleuve Jaune, dans le nord de la Chine. Quand j’avais 13 ans, j’ai ete victime d’une noyade qui etait aussi mon premier contact avec Iteau en profondeur etj’ai failli mourir Je me souviens qu’a ce moment-la, j’ai garde les yeux ouverts pour profiler pleinement de ce « dernier moment ». J’ai fait alors une incroyable experience jusqu,a ce que je perde connaissance : celle des jeux et des changements de lumiere et dbmbre dans I’eau et sur les fonds ensables. Leau est un element ambivalent qui est essentiel a notre vie mais peut aussi etre meurtriere. Quinze ans apres, j’ai choisi d’utiliser I’eau dans mon travail pour mieux vivre avec et mfen servir comme element de communication. Le concept de « lout vient de Ifeau » a ete presente pour la premiere fois en Chine, a la periode des Printemps et Automnes, par Guan Zhong (723-645 avJ.C). En Occident, Thales (624-547 av J.C.), un des Sept Sages de la Grece antique et le fondateur presume de I’ecole milesienne, a enseigne quant a lui le principe de « Tout est Ifeau ». Les deux savants les plus prestigieux de I,Orient et de rOccident ont done decrypte Iteau, il y a deux mille ans, en explorant chacun des voies differentes, faisant d’elle la source originelle de toute creation.
Philippe: Qufest-ce qui distingue tant par rapport a la tradition que dans I,usage que vous en faites la peinture a Ifencre de la peinture a Phuile ?
Li Xin: La peinture a Ifencre traditionnelle chinoise est le plus souvent executee sur des papiers Xuan ultra absorbant, ou sur de la soie. Idealement, il faut au peintre employer des materiaux que Itencre doit traverser par le mouvement du pinceau. Cela correspond a la philosophie issue d’une civilisation agricole, Ifeau penetrant la terre pour I’hydrater et la terre nourrissant en retour les hommes. L’emploi de I’eau dans la peinture traditionnelle chinoise permet I’expression d’un monde infus et silencieux. La peinture a huile est d’un usage tres different. Sa propriete premiere est d’etre etanche et je parle souvent de son processus de preparation comme de travaux d,etancheite. Je commence par peindre le fond du support, couche apres couche, et laisse secher celles-ci pendant plusieurs mois. Par suite,「utilise une grande quantite dtessence de terebenthine diluee avec un peu de couleur pour peindre sur les fonds, suivant la technique des glacis. Je laisse le medium s’epancher librement a la verticale, guidant le flux par une grosse brosse. C’est un moment tres intense pendant lequel je quete apres une forme de neant dans le neant…
Philippe: Que le resultat soit incertain ne constitue-t-il pas un handicap ?
Li Xin: Absolument pas. Avant que cela ne seche, il n’est pas possible de prevoir de qui va se passer car la couche est toujours en mouvement et chaque seconde est differente. II y a un effet miroir qui ne permet pas de voir ce que cela va produire comme resultat. Avec Inexperience, je pressens toutefois le moment ou quelque chose va emerger du fond. Parfois, cfest mon propre portrait ou le reflet de mon environnement qui s’y reflete, alors je continue a peindre pour les faire disparaitrejusqu’a ce que le neant reprenne le dessus.
Philippe: Compte tenu de ce qui caracterise tant votre demarche que votre style, vous considerez-vous comme un peintre minimaliste ?
Li Xin: Au cours du travail, mes peintures sont soumises a une forme de hasard. Je ne parlerai done pas de minimalisme car rien n’est prevu a I’avance. Rien n’est delibere etje ne sais pas ou les materiaux vont me conduire. Le neant dans mes peintures determine comme un espace ethere, visuellement vide. En realite, il est empli d’energie. Le neant est une proposition philosophique alors que le minimalisme releve plutot d’une proposition analytique, si non mathematique. La peinture chinoise accorde plus d’importance a la vitalite rythmique de la peinture, en utilisant le moins de couleur possible. On utilise souvent une seule couleur dtencre en la diluant avec differentes proportions dfeau pour obtenir plusieurs intensites chromatiques. D’ailleurs, on dit souvent qu*« il y a cinq nuances d’encre ». Avec seulement quelques nuances de gris, il est possible de susciter au regard une gamme illimitee de couleurs…
《Less is more », comme disent les artistes minimalistes…
De ce point de vue-la, on pourrait peut-etre parler d,« effet minimaliste » mais ma demarche n’en appelle pas a une experience phenomenologique, vecue par le spectateur avec son propre corps, comme chez la plupart dfentre eux.

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